Homophobie et homosexualité dans les quartiers populaires: entre réalité et véritable tabou ?

A Paris, Toulouse, Rouen, les dernières agressions homophobes médiatisées ont eu lieu dans des grandes agglomérations. Pourtant, les quartiers populaires, notamment autour de Paris, peuvent être perçus comme gangrenés par l’homophobie. Simple réalité ou nouveaux préjugés, la parole est donnée à des homosexuels.

ss

 « À Paris, on peut assumer son orientation sexuelle ce qui n’est pas le cas en banlieue ». Lyes Alouane est un militant de la première heure contre l’homophobie dans les quartiers populaires parisiens. Son avis est tranché. Mais il ne fait pas consensus.  « Vous savez l’homophobie est partout. Pas uniquement en banlieue » nuance Abdel, un habitant d’Argenteuil.  Les récentes agressions homophobes à Paris ou encore Toulouse ont montré que l’homophobie ne devait pas être cantonné à une sphère géographique ou une catégorie d’individus précis.  « Si on veut lutter contre l’homophobie, on va partout. On ne va pas que dans la capitale » clame Lyes. Dans ce sens, des avancées sont demandées pour faire de la lutte contre l’homophobie une problématique non pas territoriale mais nationale. Pour cela, il faut également se pencher sur la perception de chacun de l’homosexualité et notamment de ce tabou qui l’entoure pour de nombreux individus.

A la suite d’un recensement, un responsable de Stop Homophobie l’affirme : « Depuis le début de l’année, il y a eu 560 agressions homophobes en Ile de France dont 320 en banlieue » *.  Parmi ces cas, celui de Lyes Alouane. Au quotidien, il est la cible de propos et actes homophobes, bien souvent dans son quarter du Luth à Gennevilliers. Le point de départ ? Une photo avec son copain, posté sur Facebook il y a deux ans : « Depuis, par les jeunes de mon quartier, de ma ville, je reçois des crachats à la figure, des injures du type ‘’sale PD’’, ‘’va mourir en enfer’’ ou encore ‘’pourquoi tu fais la salope’’ ». Cette situation, Abdel, quadragénaire commercial l’a connu à son arrivée dans son quartier d’Argenteuil il y a une vingtaine d’années. Après avoir été la cible d’insultes, des amis qui lui ont tourné le dos, il est parvenu avec le temps à faire accepter et comprendre son homosexualité à son voisinage : « Par le dialogue tout simplement. Je n’ai pas besoin d’être très démonstratif mais si j’ai envie d’embrasser mon copain ou de lui tenir la main, je le fais désormais ». Des actes qu’Héline et Mokhtar ne préfèrent pas faire dans leurs quartiers d’origine, respectivement à Gonesse et Neuilly-sur-Marne. Et pour cause, ils ont fait le choix de ne pas afficher publiquement leur orientation sexuelle. Non pas par déni mais par craintes des répercussions : « Avec mes anciens petits amis par exemple, on évitait de se tenir la main ou s’embrasser pour ne pas être embêtés, avoir des ennuis » réagit Mokhtar.  Même son de cloche pour Héline, étudiante de 21 ans : « Je ne prendrai pas le risque qu’on me fasse du mal à cause de ma sexualité ».

En banlieue, « l’agression est sûre »

Après deux ans d’homophobie quotidienne, Lyes accuse légèrement le pas. Sa santé en pâtie : « Je prends tous les jours des anxiolytiques ».  D’ici quelques mois, le jeune homme quittera la banlieue pour s’installer à Paris. Non pas qu’il ne veuille donner raison à ses agresseurs : « Je pense avant tout à ma santé physique et psychologique ».  En revanche, pas un seul instant, Abdel, n’a pensé quitter sa banlieue et ses habitudes lorsqu’il était victime d’homophobie. « Vous savez l’homophobie est partout. Pas uniquement en banlieue.  Il faut la combattre, la dénoncer. Ce n’est pas la solution de pointer du doigt les banlieues ».  Lyes en a conscience. En se rendant à Paris, il ne fuit pas pour autant l’homophobie. Il s’attend seulement à pouvoir exprimer publiquement son orientation sexuelle avec moins de retenue, en se fondant dans la masse. Le militant est catégorique sur ce point : « A Paris, en tant qu’homosexuel, vous visibilisez votre orientation sexuelle, vous risquez d’être agressé. En banlieue, il ne faut même pas penser à visibiliser votre orientation sexuelle. Sinon l’agression est sûre ».  Héline reste dubitative, les seules fois où elle a subi des violences homophobes, c’était à Paris : « Je connais pleins de personnes pour qui c’est pareil. J’ai reçu des insultes quand j’embrassais ma copine ou simplement des regards déplacés, choqués » réagit la Gonessienne. A demi-mot, elle le reconnait « peut-être qu’à Paris on n’a pas peur de s’afficher donc on prend plus de risques ».

La banlieue en retard dans la lutte contre l’homophobie ?

 Depuis quelques mois, Lyes Aloune truste les médias, enchaine les prises de paroles en public pour dénoncer l’homophobie en banlieue. A cette réalité, il y associe un mot : retard. « On est en 2018, il faut s’attaquer aux banlieues maintenant pour la mettre à jour, pour faire avancer les choses partout » clame-t-il.  Sa crainte ? « Une fracture entre Paris et sa banlieue encore plus importante qu’elle ne l’est déjà ».  C’est dans ce sens-là qu’il est à l’initiative de l’ouverture prochaine d’une antenne de l’association SOS Homophobie à Gennevilliers. Une ouverture qui fera date puisque ce sera la première en banlieue parisienne. Parmi les objectifs affichés, mettre fin au monopole parisien quant à la lutte contre l’homophobie : « Quand on fait des rassemblements, des projets, des campagnes d’affichages, on ne fait pas ça en banlieue. On les laisse, on ne le veut pas les toucher » dénonce Lyes.

Sassa a posé ses valises à Asnières-sur-Seine il y a maintenant vingt ans. Cet homosexuel de 36 ans ne voit pas de retard spécifique à la banlieue parisienne dans la lutte contre l’homophobie. Il perçoit le sujet comme une problématique ancrée sur l’ensemble du territoire. Il prend alors l’exemple des campagnes : « Quand tu es dans un village de 150 habitants, que tu es gay, isolé, 17-18 ans et que tu es rejeté par ta famille, tu peux vite être stigmatisé, jugé par les gens de ton village ».  Une vision que partage Abdelkader Railane, ancien boxeur, homosexuel, et autour du roman en partie autobiographique En pleine face : « L’homophobie n’est pas plus présente qu’ailleurs en milieu populaire.  Pas plus présente qu’en milieu rural par exemple ». Sassa l’admet. Il serait « curieux d’établir une carte de l’homophobie en France, caractérisée par des couleurs. Je pense qu’on irait de surprise en surprise ».  

La ruralité touchée également par l’homophobie

Le cas de Romain, jeune adolescent de 17 ans, démontre que l’homophobie n’est pas uniquement présente en banlieue parisienne. Il vit dans un quartier populaire en Meurthe-et-Moselle. Depuis 2015, il subit l’homophobie quasiment tous les jours, que ce soit par des réflexions du type, « Regardes comment il tient son sac » ou « lui, c’est sûr il est gay », jusqu’aux questions les plus déplacées, « C’est toi qui la mets où tu te la prends ?», « Donc toi t’aimes les bites ?».  Mais depuis un mois, difficile pour Romain d’oublier une scène qui s’est déroulée devant son établissement scolaire, lorsqu’il attendait son bus. Une dizaine de jeunes l’a encerclé pour lui poser diverses questions. « Puis l’un d’entre eux m’a regardé avec toute la sincérité du monde et m’a demandé de mourir. Et une bouteille m’est arrivée en plein visage » se souvient Romain. Pendant dix minutes, il est resté stoïque, dévoré par la peur, assis, entouré par ses bourreaux : « Je voulais prendre mon sac et me barrer mais il y avait comme une peur qui m’empêchait de bouger » reconnait l’adolescent.

Un poids culturel sur les épaules

« C’est tabou. C’est interdit », Lyes Alouane se montre catégorique sur la possibilité d’être homosexuel à Gennevilliers. « Je connais des personnes homosexuelles mais ils se cachent. Il n’y a que moi qui ne le cache pas. Vraiment il y a un tabou là-dessus ». Un tabou qui pourrait être lié à la religion pour le militant : « Lorsque je suis dehors, si je me fais agresser, on me fait des liens par rapport à la religion.  On me dit « Tu es un arabe en plus », « tu vas aller en enfer ».   « Dans ces banlieues là, ce sont majoritairement des gens pour qui l’homosexualité est une déviance par rapport à la religion donc forcément pas acceptée » avance à son tour Héline.  Mokhtar également reconnait le poids de la religion, non seulement musulmane, dans les comportements homophobes en banlieue : « Certaines religions l’interdit. Des prêtres, imams ou rabbins lors de leurs prêches prônent l’interdiction des amours contre nature ».

La religion serait donc un élément à prendre en compte mais pas le seul pour expliquer ce tabou.  C’est du moins ce que nuance Abdelkader Railane en y avançant un autre argument : « Ce rejet est adossé à une certaine forme de machisme, à une culture virile de l’homme ».  En fait, la pression sociale, l’effet de groupe dans les quartiers populaires pousserait notamment les garçons à imposer leur virilité et prôner le culte de la force et de la dignité : « Si tu ne montres pas que tu es un mâle, alors tu peux devenir une victime de racket, viol, violences physique et verbal » admet Mokhtar.  Dans ce sens-là, virilité et homosexuel ne sont pas lié mais plutôt opposé : « Dans l’imaginaire des jeunes de quartiers, l’homosexuel est souvent associé à l’homme efféminé » explique Abdelkader Railane. Ainsi, le fait de détester les homosexuels serait perçu pour accentuer leur virilité.  L’ex boxeur, écrivain, y va alors de sa propre conclusion : « Détester les homos en milieu populaire est naturel, c’est plutôt la norme, les jeunes sont donc d’une certaine manière biberonner au rejet des homos. Un peu comme ils le sont souvent envers les représentants de la police ».

Comment gérer et faire évoluer la lutte contre l’homophobie ?

Quasi quotidiennement, Lyes Alouane subit l’homophobie dans son quartier. Dès qu’il s’apprête à rentrer chez lui, « le groupe de jeunes est toujours au même endroit ». Mais hors de question pour lui de changer de chemin et ainsi ne pas affronter ses bourreaux.  Depuis deux ans, Lyes a déjà déposé près d’une quinzaine de plaintes auprès du commissariat de Gennevilliers. Toute ont été classés sans suite.  De son expérience, il dénonce « la banalisation complète dans les commissariats ».  Il voit la justice comme un axe de travail primordial afin de faire évoluer la situation non seulement en banlieue mais de façon plus globale : « Personnellement quand j’ai été reçu, parfois j’ai été humilié. Parfois j’avais l’impression que c’était moi l’agresseur, de subir une double agression ».  Pour dénoncer ce problème, Lyes s’appuie sur un chiffre : 80 % des plaintes seraient classés sans suite aujourd’hui en France, dû notamment à la surcharge de travail des procureurs et la non priorité donnée à une injure ou agression homophobe.

Un autre axe de travail prôné par nos interlocuteurs : l’éducation.  Cela peut notamment passer par des ateliers de sensibilisation dans les établissements scolaires. Une activité qu’a déjà fait Lyes en quartiers populaires en région parisienne avec SOS Homophobie : « Tu ne parviens pas forcément à faire changer d’avis les élèves sur l’homosexualité mais au moins tu leur apporte toutes les informations nécessaires pour comprendre et se faire un avis complet ». Abdelkader Railane échange aussi régulièrement avec des jeunes des banlieues sur ce sujet : « On me tient des discours très forts, qui ne font pas plaisir à entendre. Mais c’est leur droit de le penser, de le dire ». C’est bien la que se trouve la nuance. Penser et le dire est indéniable de la liberté d’expression et de pensée propre à la France.  Les inquiétudes paraissent plus légitimes dès lors que le désaccord s’exprime par des actes à degrés divers de virulence. Et c’est bien sur ce point que la lutte contre l’homophobie devrait être considéré comme une problématique nationale et non cantonné à un secteur géographique unique.

 

Laisser un commentaire

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Retour en haut ↑

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer